LES DESSOUS DE LA DEUTSCHE BANK, par François Leclerc

Billet invité.

Les journaux allemands parlaient hier de « tremblement de terre bancaire », bien placés pour observer l’ébranlement de la Deutsche Bank, ce colosse qui a trempé dans toutes les manipulations des marchés et dont il se révèle qu’il a des pieds d’argile. Son avenir n’est pas assuré et son renflouement serait problématique vu sa taille : 1.626 milliards d’euros d’actifs sont inscrits à son bilan. La crainte que cette perspective se réalise est à l’origine de la chute brutale des valeurs bancaires, car elle conduirait les banques droit dans l’inconnu, et pas seulement en Europe, car elles sont contreparties entre elles à l’échelle mondiale. Elle mettrait également à mal la politique européenne de l’union bancaire.

La raison de la chute boursière mondiale n’est pas à chercher loin : la nouvelle réglementation européenne en matière de résolution bancaire, entrée en vigueur cette année, impose que les actionnaires et certaines catégories de créanciers détenteurs de dette de la banque soient en priorité mis à contribution pour éponger les pertes d’une banque (dans la limite de 8% du passif). Il faut donc se débarrasser au plus vite du papier ! Mais cela ne s’arrêterait pas là, car en raison de la dimension d’un sauvetage de la Deutsche Bank, l’État ne pourrait pas éviter de s’impliquer financièrement s’il n’était pas parvenu à maintenir la banque à l’équilibre. Les conséquences systémiques de son effondrement seraient en effet redoutables. Au final, une telle éventualité représenterait certes un échec majeur pour l’Union bancaire, dont l’objectif proclamé était de ne plus faire appel à des fonds publics, mais il n’y aurait pas le choix.

Dans l’immédiat, afin de rassurer les investisseurs et de couper court à la crise boursière, la rumeur a couru que la banque allait acheter pour 50 milliards d’euros de ses titres obligataires, mais ceux-ci ne croiront que ce qu’ils verront. Ce qui explique qu’après un petit répit la chute des valeurs bancaires a repris de plus belle, les investisseurs se délestant de leurs titres pour ne pas risquer de participer à un sauvetage à leur corps défendant. C’est particulièrement le cas des détendeurs d’obligations convertibles (les CoCos), qui n’ont jamais pensé lorsqu’ils ont acheté ces titres émis par la puissante Deutsche que leur conversion en actions pourrait intervenir un jour, et qu’ils pourraient être amenés à combler les pertes de la banque. Aujourd’hui, l’avenir de celle-ci est selon toute probabilité d’être a terme démantelée, donnant un exemple à méditer à ses homologues européennes.

La nouvelle règlementation connait un bien mauvais départ. Cela a commencé en Italie, où le sauvetage de quatre petites banques régionales a été précipité avant la fin de l’année dernière afin de ne pas avoir à l’appliquer. La mise en œuvre de la règle du bail-in aurait ruiné des petits investisseurs ayant acheté des paquets d’obligations des banques en confiance. Depuis, elle n’a toujours pas été appliquée pour d’autres banques italiennes, pour lesquelles un montage financier complexe évitant d’appliquer la réglementation a été élaboré. Au Portugal, son application à la suite de la création de Novo Banco a par contre suscité des actions en justice des créanciers, dont des hedge funds américains, qui ont été appelés à combler le passif de la BES, la « bad bank » dont elle est issue.

Les banques continuent à être rattrapées par leur passé. Les suspicions sur la santé financière de la Deutsche Bank sont à la mesure de sa fréquentation assidue du grand casino des produits dérivés, à laquelle la taille énorme de son bilan n’est pas étrangère. Des produits dérivés y contribueraient pour moitié et leur valorisation serait sur la sellette. Le doigt est pointé sur la Deutsche – que l’on peut assimiler à un hedge fund en raison de son activité principale – mais qu’en est-il du reste du système bancaire allemand  ? Il est soit sous contrôle et protection publique, soit hors du périmètre des banques contrôlées par la BCE…

Soumis à l’épreuve du feu, le dispositif qui était censé écarter le spectre d’un nouveau renflouement des banques sur fonds publics se révèle sous-dimensionné et inadéquat. D’autant plus qu’il est incomplet, son troisième volet concernant la protection à l’échelle européenne des dépôts n’est pas prêt d’être adopté, signe s’il en est de la poursuite attendue de la crise bancaire européenne, car il suppose une mutualisation des pertes.

Était-il opportun que cela apparaisse en ce moment, lézardant une pierre de plus d’un édifice européen bien mal en point ?